Nous n’avons pas de parrain au JKA Toulouse. Il n’y a pas eu de cérémonie d’inauguration non plus, c’était trop compliqué de balancer du sel aux quatre coins du gymnase (dojo…) en criant les dojo kuns: la mairie n’allait pas bien comprendre. Donc, nous n’avons pas de parrain mais si on avait dû avoir un parrain, on aurait tous bien aimé que ce soit Sawada senseï.
Interview tiré du magazine anglais online The Shotokan Way.
Merci d’avoir accepté d’être interviewé pour notre magazine en ligne, Sensei. J’ai vraiment hâte d’entendre vos pensées.
Tout le plaisir est pour moi.
Vous êtes né à Hokkaido, l’île la plus au nord du Japon. Pourriez-vous nous parler de votre enfance là-bas?
J’ai vécu dans un petit village où il n’y avait pas de train, seulement un bus qui ne circulait que 3 fois par jour. Le village se situait dans la campagne, entre la mer du Japon et les montagnes. Nous pouvions jouer au bord de la mer ou nous baigner pendant seulement 3 ou 4 semaines dans l’année. Les hivers étaient rudes et duraient de Novembre à Avril. Nous nagions et plongions sans scaphandres pour ramasser des coquilles d’ormeau que nous allions vendre aux restaurants de sushis de la région. ça nous faisait un peu d’argent de poche. On allait jouer sur les plages de galets (nous n’avions pas de plages de sable), et l’hiver, on allait skier et marcher dans les montagnes. C’est peut-être à cause de cela que nous avons des hanches et des jambes fortes.
Senseis Sawada, Kase, Enoeda, Miyazaki durant le camp d’été de Gent en 1975
Vous avez commencé le karaté au lycée, c’est bien ça? Auprès de qui avez-vous étudié en ce temps-là?
Mon grand frère est parti étudier à Tokyo et, pendant un temps, il a pratiqué le Goju-Ryu à l’Université. Quand il est revenu, il m’a montré comment faire un «tsuki». A ce moment-là, un de nos cousins pratiquait déjà le karaté dans notre lycée (il était ceinture marron). Tous deux ont eu beaucoup d’influence sur moi.
Mon maître était M. Ibata Joto, diplômé de l’université de Taisho. Sa vie était très significative. Il était maître-moine de profession, tout comme son père qui vivait dans un temple. En même temps, il enseignait dans des lycées proches de là où je vivais, et c’est comme ça que je l’ai connu. Quand vous me demandez comment j’ai commencé le karaté, je regarde en arrière et je me rends compte que nous commençons tous à un moment particulier plutôt «unique», et nous suivons une direction jusqu’au moment présent «maintenant»… Pour moi, cela a toujours été très porteur de sens.
Ibata Sensei était aussi capitaine de l’équipe de karaté de l’Université. A ce moment-là, Iida Sensei commençait à peine à l’Université de Taisho. Tout ce qui arriva ensuite était comme la première étape d’un cycle. Il y avait une sorte de continuité du fait qu’Ibata Sensei avait le même âge et était dans la même classe que Miyazaki Sensei. Quand je repense à cela aujourd’hui, je trouve ça très censé et très intéressant, Ibata, Iida, Miyazaki, Sawada…
De gauche à droite : Sensei Yahara, Oishi, Lida (avec Mori Sensei derrière lui), inconnu, Miyazaki, Sawada. Photo prise durant le « Goodwill match ».
Pouvez-vous nous parler de vos entrainements de karaté pendant l’époque du lycée?
Au début c’était compliqué. Je vous ai dit que, là où je vivais, le bus ne passait que 3 fois par jour. Quelquefois je terminais l’entraînement très tard et je manquais le dernier passage du bus. Je devais alors marcher 6km depuis la station jusqu’à chez moi. En été, ça allait sans problème, mais en hiver, avec la neige, le froid, la pluie et le vent, quelquefois c’était très difficile.
L’entraînement en lui-même n’était pas si difficile. On pouvait choisir de faire du karaté parmi plusieurs autres sports.On s’entraînait 3 fois par semaine. Le karaté à l’Université était une autre histoire.
Pouvez-vous nous parler de votre expérience à l’Université et de ce que vous y avez étudié?
J’ai étudié la Littérature Américaine, mais je passais le plus clair de mon temps à faire du karaté. Je n’étais pas un très bon élève.
L’Université de Taisho est renommée pour ses études sur le Bouddhisme. La plupart de ceux qui veulent se préparer à devenir des maîtres de temple allaient étudier là-bas. Pour apprendre le Bouddhisme, il faut connaître l’alphabet Kanji (alphabet japonais) et c’est très difficile. Votre alphabet occidental, qui n’a que 26 caractères, est bien plus facile pour moi. Mais à cette époque, l’idée de partir à l’étranger ne m’était pas encre venue à l’esprit. Je ne sais pas pourquoi j’ai choisi la littérature américaine. En ce temps-là, il n’y avait pas beaucoup d’opportunités de carrière dans ce domaine, mais j’ai toujours aimé apprendre les langues. Je n’étais pas un bon élève, mais tout ce que j’ai appris m’a beaucoup aidé par la suite.
Pendant votre entraînement à l’Université de Taisho, vous avez été formé par le mondialement célèbre Sensei Iida. Pouvez-vous nous faire partager quelques souvenirs de cette époque?
De manière générale, on commence les études universitaires à 18 ans jusqu’à 22 ans. A cet âge, notre condition physique, en terme de rapidité, de réflexes et de puissance, est optimale. Comme vous le savez, une équipe de karaté comprend 5 membres ou concurrents. Iida «invitait» chacun des membres pour un combat de jyu kumite de 5 minutes, l’un après l’autre, ce qui faisait facilement 25 à 30 minutes de combat libre non-stop. Iida Sensei était très fort et mentalement très solide. Sa technique était connue pour la «pression» intense qu’il imposait à ses adversaires et pour ses compétences défensives. Bien que nous étions jeunes et que nous avions de l’esprit, nous ne pouvions pas l’attaquer. Il était très impressionnant. Avant de commencer le karaté, il avait pratiqué le judo, le kobudo et le «old time» jujitsu. De temps en temps, nous nous retrouvions dans les airs avant de nous écraser contre un mur… et puis l’entraînement reprenait pour 2h de plus. Pour lui, c’était un peu comme un échauffement. Il venait de gagner le 1er Japan Karate All Style Championship.
En ce temps-là, nous pouvions travailler et apprendre des techniques différentes venant d’autres styles et d’autres Fédérations. Aujourd’hui, il y a beaucoup de compétitions, mais presque tout le monde pratique le même style.
Comment était l’entraînement avec lui?
Comme j’ai dit, Iida Sensei avait pratiqué le judo et le kobudo; il savait comment se battre et comment se défendre. D’ordinaire, lorsqu’on parle de karaté, on pense seulement aux techniques d’attaque et pas vraiment à celles de défense. Il nous a montré que la différence entre les 2 est très importante.
Comment décririez-vous l’approche d’enseignement d’Iida Sensei? Etait-il dur avec vous?
Si vous faisiez partie d’une équipe de karaté à cette époque, l’entraînement était toujours très dur. Je pense aussi que c’est lié à certains traits de le culture japonaise. Représenter notre université était important pour nous. Nous étions très fiers de porter l’emblème de l’Université sur nos habits. Nous avons tous essayé de gagner et avons ramené de bons résultats; l’esprit d’équipe était fort. Iida Sensei était aussi comme ça. Nous ressentions tous la même chose. Nous devions nous battre contre des équipes très douées.
Bien sûr, je connaissais les maîtres Shotokan de l’Université de Takushoku: Tsuyama Sensei, Nakayama Sensei. Ils avaient de très forts compétiteurs de notre âge tels que Kawawada Sensei et Omura Sensei, que nous essayions de battre. Nous y sommes arrivés quelques fois. Je me suis souvent battu contre Omura et Kawawada.
Quand Iida Sensei entrait dans notre dojo, l’adrénaline montait immédiatement car il était toujours très fort et très précis.
Avez des souvenirs ou des histoires marquantes de votre formation à l’Université de Taisho?
Il y avait un directeur à notre club de karaté qui était aussi enseignant à l’Université: M. Takayama. Il nous disait toujours: «Je veux que vous n’utilisiez qu’un seul mot, «Champions», et pas deux.». Avec un résultat en deux mots, nous n’avions pas de raison ni la permission de célébrer ou de faire la fête. Nous n’étions pas «autorisés» à terminer second, et si ça arrivait, nous devions nous couper les cheveux très, très courts. En ce temps-là, nous pensions qu’être à l’université signifiait quelque part avoir plus de liberté; nous n’avions pas à porter d’uniforme, et nous pouvions essayer différentes coupes de cheveux, mais pas pour les karatékas… Vous voyez, Iida Sensei était déjà un maître du temple «professionnel», donc il avait toujours les cheveux très courts…
Sensei Hayakawa enseignait aussi à l’Université, n’est-ce pas? Pouvez-vous nous parler de lui?
A l’époque, le karaté club de l’Université de Taisho avait 3 instructeurs. Iida Sensei, Hasegawa Sensei, le numéro deux, et Hayakawa Sensei, le numéro trois. Nous avions une très bonne structure. Iida Sensei était comme une «père» pour nous, son second remplissait les fonctions d’une «mère», et Hayakawa Sensei était comme notre «grand frère», mais c’était le plus dangereux (il était très célèbre pour son gyaku tsuki dévastateur et son esprit de tigre). Il mettait ses étudiants face à une rangée de 10 opposants, et les faisait combattre librement alternativement pendant 2 minutes, l’un après l’autre. Cela pouvait durer 20 minutes. Lui, se tenait derrière la «victime» avec un Shinai de manière à «contrôler» ses mouvement et sa performance. Si l’élève se déplaçait en avant ou sur les côtés, ça allait, mais s’il reculait… je vous laisse imaginer la suite! Mais c’était un grand karatéka, et, en vérité, grâce à ce type d’entraînement nous avons appris comment et quand faire un tai sabaki, sans même avoir à réfléchir, sans avoir besoin de «réflexion logique». C’était un grand homme. Quelquefois nous organisions des petites soirées où il se déguisait en Charlie Chaplin et faisait des blagues – il nous faisait marrer!
A l’Université, vous êtes devenu le capitaine de l’équipe du club. Qui étaient les autres membres de votre équipe?
De 1971 à 1974, Tsuyama Sensei était l’assistant de Nakayama Sensei à l’Université de Takushoku. Il disait que notre équipe était la plus dure à battre, la plus forte. Leur équipe n’arrêtait pas de changer, et certaines années elle était douée, d’autres non. Notre équipe se composait de: Nakanishi, qui avait le don de gagner des points quand on en avait vraiment besoin. Il était grand avec de longs bras et de longues jambes et était bon en kumite et kata. Il y avait aussi Nagano, qui était très doué avec ses jambes et était connu pour son «esprit de kamikaze». Hiyoshi, qui était techniquement très bon, Asano, qui avait aussi de bonnes techniques de jambes et qui était aussi doué au kata et au kumite, et Sawada, que vous devez connaître maintenant. Nous formions une très bonne équipe.
En tant que capitaine d’équipe, vous avez eu des résultats compétitifs très impressionnants, n’est-ce pas? Quelle compétition est selon vous la plus mémorable?
Je dirais le All Style Japan University Championship, qui a eu lieu à Osaka en 1973. Nous sommes allés en finale et avons du affronter l’équipe de l’Université de Kyushu. Nous avons gagné des combats et perdu d’autres. Le score finale était à égalité: 2,2 à 2,2. Donc nous avons du choisir un combattant pour essayer de se sortir de cette impasse. Nous avons choisi Nakanishi. Il a réussi a exécuter un très beau kizami zuki. Deux juges d’angle lui ont donné un ippon, les deux autres un waza-ari, c’est-à-dire que les 4 juges d’angle lui ont donné l’avantage, mais le juge de centre n’a pas été d’accord, pensant qu’il y avait eu un contact excessif. Le résultat a été hansoku make et nous avons perdu la finale. Nous étions vice-champions, au grand dam de notre directeur. Pas de fête à Osaka après ça, nous avons du partir pour Tokyo immédiatement. Pas de fête, pas de repos. Nous avons du repartir le jour même.
Après ça, le Président de la Fédération des Universités a déclaré que la technique aurait du être récompensée par un ippon, ce qui enclencha un débat sur le système des points et sur la compétition en général, parce que, à cette époque, nous suivions toujours la règle du shobu ippon. Donc la question était: qu’est-ce qu’un ippon?
Et qui qualifieriez-vous comme étant votre opposant le plus coriace?
Sans aucun doute Omura Sensei (JKA Thaïlande). Nous nous sommes retrouvés face à face à de nombreuses reprises, soit en équipe kumite soit en compétition individuelle. Je me souviens d’une compétition individuelle en particulier dans la région de Kanto. C’est une assez grande région et aujourd’hui il peut y avoir jusqu’à 400 participants ou plus. Pour aller en finale, il fallait combattre 6 ou 7 adversaires. En finale, en face de moi, se tenait Omura Sensei. Chacun de nous marquait des points l’un après l’autre, et puis hikiwake, l’autre ramenait le score à égalité. Je ne sais pas combien de fois c’est arrivé, peut-être 6 ou 7 fois. Le combat se terminait, et nous devions tout recommencer, plusieurs fois, mais à la fin, j’ai gagné. Omura Sensei était un très grand adversaire.
Après avoir été diplômé de l’Université, vous avez été l’assistant de Sensei Miyazaki. Pourquoi avez-vous été choisi pour être son assistant?
En 1973, Miyazaki Sensei a amené l’équipe belge au Japon pour participer à un entraînement de Gasshuku à Nagasaki. Il a demandé à Iida Sensei de lui fournir un assistant qui avait déjà un oeil sur l’avenir. L’année d’après, M. Devos, Président de le JKA de Belgique à l’époque, est venu au Japon et a noué des contacts dans le but de signer un contrat. Iida Sensei a demandé à Nakayama Sensei (du siège social de la JKA)de donné sa permission officielle qui m’autorisait à venir en Europe.
En quelle année exactement avez-vous quitté le Japon pour la Belgique afin de devenir l’assistante de Sensei Miyazaki?
Le 21 Mars 1975, déjà en possession de mon diplôme de l’Université de Taisho, j’ai atterri à Paris, d’où j’ai voyagé jusqu’en Belgique. Mon premier contrat était prévu pour une durée de deux ans. Nakayama Sensei avait donné sa permission pour deux ans, mais il ne faut pas oublier que c’était l’époque où Bruce Lee commençait à se faire un nom et la popularité des Arts Martiaux et du karaté s’est répandue. J’ai fini par rester 10 ans avant de retourner au Japon.
Pouvez-vous nous en dire plus sur Miyazaki Sensei? J’ai entendu dire que c’était un personnage remarquable.
Dans la culture japonaise, il y a une très forte tradition orale. Par exemple, nos grand-parents nous disaient toujours que si tu n’avais pas de sécurité financière, tu étais bon à rien. Mais il y a aussi le précepte selon lequel si tu n’es pas une sorte de célébrité, tu n’es personne.
C’est l’argent contre la réalisation de soi. Et puis il y a ceux qui sont en mission pour faire ce qu’ils peuvent, soit enseigner, soit faire tout ce qu’il faut pour aider les autres à devenir de meilleurs individus et de meilleurs citoyens. Miyazaki Sensei était de ceux-là. Il était homme très peu bavard; c’était un trait de sa personnalité. Nous devions toujours faire très attention à lui, à son attitude, pour pouvoir comprendre ce qu’il avait à l’esprit. La communication fonctionnait au niveau visuel. Il était loin d’être le genre de maître à blablater.
De gauche à droite: Sensei Sawada, Hayakawa, Miyazaki, Iida, un représentant de l’université de Belgique, Sensei Kase, Sensei Enoeda, Dirk De Mitts.
Avez-vous des souvenirs ou des histoires amusantes à son sujet que vous pouvez nous faire partager?
Quelques temps après mon arrivée en Belgique, j’ai du partir enseigner à Arlon, dans le sud du pays. Miyazaki Sensei m’a amené à la Central Station de Bruxelles, m’a appris comment acheter un billet de train, m’a fait acheter les horaires, les a étudiés avec moi, et m’a demandé de mémoriser tous les arrêts du trajet Bruxelles-Arlon qui durait deux heures et demi, de manière à ce que je ne finisse pas perdu au Luxembourg. Miyazaki Sensei était comme ça, toujours à chercher le moyen le plus pratique et le plus efficace de faire les choses. Généralement, il vous montrait la direction, décidait de ce qui était nécessaire, puis vous laissait vous débrouiller seul.
Et en tant que son assistant, quel était votre rôle exactement? Pouvez-vous nous donner une idée de comment vous agissiez avec lui?
Quand j’étais déjà en Belgique, le karaté dépendait encore de la Fédération de Judo. On pouvait dire que c’était une partie de la Fédération de Judo. Miyazaki Sensei pensait que le karaté et le judo devaient être traités séparément. Il était donc important de décider ce qui devait être fait pour gérer le karaté indépendamment du judo. Il a établi des contacts avec les autorités belges dans le but de créer une association de karaté. C’était principalement pour ça qu’il avait besoin de quelqu’un – pour l’assister dans cette tâche de développer le karaté en belgique. En 1975 nous avons eu l’UBK mais, comme vous le savez, en Belgique il y a différentes langues et communautés politiques. Donc nous avons eu l’UFK (pour les francophones du sud du pays) et le WKV (Association de Karaté Flamande). Nous avons concentré tous nos efforts sur les activités nationales et fédérales, et avons aussi travaillé au niveau provincial, en organisant quatre importants cours nationaux chaque année: à Namur, Genk, Bruxelles et Knokke.
Qu’avez-vous retenu de plus important de votre expérience auprès de Miyazaki Sensei?
L’importance d’être patient. Face aux difficultés et à l’adversité, il était toujours très patient et s’efforçait de trouver le meilleur moyen de résoudre les choses. Il y a une véritable ressemblance entre la Belgique, avec ses problèmes politiques, et certains traits du caractère de Miyazaki Sensei. Quelle que soit la situation, il y a toujours au moins deux façons de faire les choses. Rien n’est jamais simple, c’est presque toujours très compliqué, et ça demande beaucoup de patience. Sensei débordait de patience. Quand vous ne pouvez pas agir dans l’immédiat, il vous faut apprendre l’importance d’attendre le bon moment pour pouvoir réussir. Il prenait toujours ses décisions et agissait toujours de la meilleure façon possible. En Belgique, c’était pas facile de rester neutre, mais il y arrivait sereinement, en écoutant tout le monde très attentivement, en travaillant avec chaque personne impliquée, sans jamais oublier que sa mission était de contribuer au développement et à la croissance du karaté en Belgique. Miyazaki Sensei était principalement accepté parce qu’il était homme de patience. Kase Sensei lui-même est venu vivre en Belgique pendant 6 mois et a trouvé ça très difficile.
J’ai entendu une histoire comme quoi Kase Sensei vous a cassé le bras. Vous pouvez nous en parler?
Comme je vous ai dit, je suis arrivé en Europe le 21 Mars 1975. Je suis arrivé à l’aéroport d’Orly où Miyazaki Sensei m’attendait. Nous sommes ensuite allés rendre visite à Kase Sensei avec qui nous avons pris un petit repas préparé par sa femme. C’était la première fois que je rencontrais Kase Sensei. Dès lors, chaque fois qu’il aurait besoin d’un assistant, je l’aiderai.
Kase Sensei était petit, mais il avait des jambes et des bras incroyablement puissants. C’est la seule personne que je connaisse qui pouvait briser une brick ou une pierre qui se trouvait par terre. Il avait une rapidité et une force étonnantes. Ses mains étaient très puissantes. Un jour je l’ai assisté pendant une démonstration du premier mouvement d’un kata Chinte, et c’est là que c’est arrivé.
A quel point vous êtes-vous senti connecté à Kase Sensei et en quoi vous a-t-il influencé?
Kase Sensei était un pionnier. Il est allé partout, en Europe, en Afrique du Sud, dans certains pays arabes aussi…
J’ai travaillé 3 mois au siège social du JKA à Tokyo et j’ai étudié le kata avec beaucoup d’instructeurs de haut niveau tels qu’Osaka Sensei, Kasuya Sensei ou Yahara Sensei. Nous avons appris et mis en pratique beaucoup de kata. Plus tard, j’ai réalisé que la technique de Kase Sensei était la plus efficace. Il s’était entraîné aux côtés de Yoshitaka Funakoshi Sensei et il privilégiait toujours l’efficacité par dessus tout. Il essayait de prendre exemple sur le «combat réel». Tous les Sensei qui ont enseigné au siège social du JKA étaient exceptionnels, mais l’approche de Kase Sensei était indéniablement inspirée du «karaté vieux-jeu de la vraie vie».
Ai-je raison de penser que vous êtes retourné au Japon en 1984? Quelle était la raison de votre retour?
En Décembre 1984 j’ai décidé de rentrer au Japon. J’avais été l’assistant de Miyazaki Sensei pendant 10 ans. Tout au long de ces 10 années, le karaté belge avait grandi et évolu pour atteindre un niveau très élevé avec des résultats internationaux excellents.J’avais le sentiment d’avoir achevé ma tâche auprès de Miyazaki Sensei, et il était temps pour moi de penser à l’avenir de mes enfants. Le fait de rester vivre à l’étranger allait entraver leur capacité à lire et écrire le japonais correctement. C’est une langue et une écriture difficiles que l’on apprend plus facilement lorsqu’on est jeune. Ma femme et moi pensions que les petites choses quotidiennes telles que lire un journal japonais étaient importantes, et tout le monde sait que le japonais n’est pas la langue la plus simple. Nous avons donc décidé de repartir au Japon.
Vous êtes retourné en Belgique suite à la mort de Miyazaki, mais avant cela, qu’avez-vous fait au Japon? Avez-vous enseigné?
Après être rentrés au Japon, nous somme partis vivre à la Préfecture de Yamanashi pendant 6 ans où nous avons pu voir le très célèbre Mont Fuji. Pendant ces 6 années, j’ai eu la chance de travailler à l’administration de la mairie de Tsuru. J’ai continué d’enseigner le karaté aux enfants, y compris à mon fils et ma fille. Je n’ai jamais cessé d’enseigner dans les collèges. J’étais souvent sollicité pour arbitrer une compétition universitaire de karaté et pour travailler avec les fédérations d’étudiants. Puis, j’ai quitté la mairie et j’ai commencé à travailler pour une société privée. Ce furent alors des temps prospères, donc j’ai suggéré d’importer des voitures européennes. Beaucoup de gens souhaitaient acheter et conduire des Jaguars ou des Mercedes. Mais il y a eu la crise économique. J’ai vendu quelques voitures onéreuses, avec tout cet argent qui circulait…mais quelques fois il fallait faire très attention.
En quelle année êtes-vous retourné en Belgique?
Je suis retourné en Belgique le 25 Août 1993. Gardez bien à l’esprit que Miyazaki Sensei était décédé le 31 Mai. J’ai assisté à ses funérailles, ce fut un moment très douloureux pour moi.
Pourquoi avez-vous décidé d’y retourner?
Après le décès de Miyazaki Sensei, le directeur belge et Iida Sensei m’ont demandé de considérer le fait de revenir en Europe. Ça n’a pas été une décision facile car ma famille et moi étions déjà bien installés au Japon.
Sous la direction de Miyazaki Sensei, nous avions réussi à instaurer une structure au karaté belge, et ce malgré la rivalité et la forte pression politique. Nous étions parvenus à imposer notre style de karaté JKA en Belgique. Et j’avais passé un accord avec nos homologues belges: celui de tout faire pour continuer le travail de Sensei. Pour diverses raisons, certaines personnes ont désapprouvé et ont quitté l’organisation. Il y avait deux alternatives: se dissoudre, ou bien continuer à travailler ensemble. Vous savez, après le décès de Sensei, j’ai continué à «converser» avec lui en un sens. J’essayais de savoir ce qu’il aurait pensé de ci ou de ça… et j’ai finalement accepté de devenir le nouveau «directeur» du karateka JKA belge. Mais il fallait encore que je négocie tout ça avec ma femme, qui était restée au Japon avec les enfants. Nous avons finalement décidé que la famille devait revenir en Belgique, mais, jusqu’en Août 1994, j’étais seul, et je peux vous assurer que, financièrement, c’était très difficile.
Quel a été l’impact le plus important de la mort de Miyazaki Sensei? Comment vous êtes-vous senti suite à son décès?
De ce que j’en ai dit précédemment, vous avez du comprendre que Miyazaki Sensei était un modèle de conduite pour moi, et pas seulement en termes de karaté. C’est pourquoi, aujourd’hui, j’arrive à accepter qu’il y a toujours différents points de vue. Je vois une grande valeur dans la possibilité de travailler ensemble, et, en même temps, de permettre à tout le monde d’exprimer sa propre opinion. Sa «présence» persiste toujours énormément, et j’essaie toujours de penser à ce qu’il aurait fait dans chaque situation. Comme je vous l’ai dit, Sensei n’était pas homme bavard, et, par moment, cela s’avère être très utile. C’est presque comme si je l’entendais encore parler «dans ma tête».
Actuellement, vous êtes Instructeur en chef de l’académie de Sawada. Quel est votre objectif pour le JKA en Belgique?
Mon idée c’est qu’il y a un cycle, une rotation. Pouvez-vous la voir? Tout a commencé avec Ibata Sensei, puis Nakayama Sensei, Iida Sensei, Miyazaki Sensei et Sawada. Je ne peux décemment pas briser ce cycle. Il ne s’agit pas seulement de karaté, ou de Karaté Shotogan du JKA. Il s’agit de la vie elle-même; c’est un sentier, et je suis très fier de le suivre. Bien entendu, je décide de certaines choses, mais quelque part, quand j’ai commencé avec Ibata Sensei, la décision de vivre cette vie était déjà prise. Vous avez le «maintenant» et vous avez le «après». Tout est connecté, et c’est là tout le sens de ce que je considère être mon devoir, ici, en Belgique. Les différentes époques de ma vie sont profondément connectées, et j’ai le sentiment d’avoir un lien particulier avec ce pays. Mes objectifs concernent l’académie Sawada, bien entendu, mais ils sont plus grands et plus ambitieux parce que j’ai l’impression de devoir quelque chose au peuple belge. Les japonais et les belges sont différents, et ma tâche implique un travail vers une coopération plus aboutie, et pas seulement en termes de karaté. Des écoles proposent le karaté aujourd’hui, parmi leurs activités, et cela a toujours été un de mes projets, donc j’en suis heureux. J’ai plaisir à travailler avec les belges. Le karaté a atteint un très haut niveau dans ce pays, et je voudrais aider à le faire évoluer davantage. Je pense en comprendre les enjeux, et ce n’est pas seulement le côté technique des choses qui compte. Travailler avec les enfants est très important car l’éducation joue un rôle primordial. Et, pour pouvoir faire tout ce que j’ai en tête, je ne peux pas agir seul, j’ai besoin de la coopération des autres personnes dans ce pays.
Quel est votre kata préféré et pourquoi?
Quand j’étais un jeune concurrent, durant les compétitions de Kata en équipe comme individuelles, j’adorais faire le Kanku Sho à cause de la vitesse et de la vivacité requises. Mais aujourd’hui, j’ai perdu de la vitesse (rires), le facteur âge, vous savez… Durant les examens ou les qualifications, je fais le Nijushiho, un kata plus court avec beaucoup de contrastes que je me plais beaucoup à explorer.
Puis-je vous remercier du temps accordé et pour votre enthousiasme à partager vos expériences avec nous. Nous vous souhaitons tout le meilleur pour la suite.
Avec plaisir, et de même pour vous.
Source @ www.theshotokanway.com
Traduction @ Marion Lauzin pour JKA Toulouse